Paragrippa. Jean-Auguste Fripon, dit (1761-1829) (1/4)

Médecin, alchimiste, astrologue, théosophe et stellionataire

Si l’on en croit les confessions qu’il fit sur ses vieux jours à son ami et disciple Léon Bottais, notaire à Montlouis, qui les recueillit ensuite dans un ouvrage intitulé Propos de table du Maître (Tours, éd. Mame, s.d. ‒ après 1830), la vocation de Paragrippa se serait décidée le jour où, alors qu’il n’était qu’un enfant qui jouait devant la maison de ses parents à Véretz (Touraine), un mystérieux étranger se présenta devant lui, l’appela par son prénom, et lui prédit une destinée hors du commun. Cette anecdote, si elle est authentique, soulève d’intéressantes questions sur l’existence de ces mystérieux « Supérieurs Inconnus » qui auraient parcouru l’Europe entre le XVIe et le XIXe siècle puisque la même aventure advint, presque deux siècles plus tôt, au jeune Jacob Böhme. Se pourrait-il qu’une même « influence spirituelle », pour reprendre la terminologie de René Guénon (cf. Aperçus sur l’Initiation, Paris, Éditions Traditionnelles, 1946), ait été transmise aux deux hommes ? Ceci expliquerait le goût prononcé de Paragrippa pour les œuvres du théosophe allemand, dont il possédait dans sa bibliothèque toutes celles qui à l’époque avaient été traduites en Français. Mais il est bien évident que, dans un domaine comme celui-ci, on ne peut qu’en être réduit aux conjectures.

Il est en tout cas avéré que le jeune Fripon dès son plus jeune âge reçut une initiation au moins virtuelle (qu’il faut bien distinguer de l’initiation effective ‒ cf. René Guénon, Aperçus sur l’initiation, op. cit.) aux sciences occultes, d’abord auprès de son père, qui semble s’être intéressé à l’alchimie dite « opérative » (il possédait un alambic), puis surtout par l’intermédiaire du curé de la paroisse de Véretz, qui tenait dans une armoire à l’abri des regards de ses concitoyens comme de sa hiérarchie, toute une série d’ouvrages d’Henri Corneille Agrippa, Bernard de Trévise, Paracelse, et autres kabbalistes chrétiens, et qui se chargea de l’éducation du fils Fripon dont le caractère comme les ressources (ainsi il faut bien le dire que l’intérêt) limitées de sa famille empêchèrent d’envoyer au Collège à Tours.

Son père avait estimé en effet que la férule de l’ecclésiastique, aussi irascible qu’érudit, saurait, sinon contraindre, du moins tempérer l’humeur atrabilaire de son fils. En réalité, l’enfant et le curé semblent s’être entendus comme, suivant l’expression consacrée, « larrons en foire. »

S’il ne parvint, ni même sans doute ne tenta d’adoucir les mœurs du futur Paragrippa, ce religieux dont l’histoire n’a malheureusement pas retenu le nom, comme souvent dans le cas d’affaires impliquant la transmission de savoirs ésotériques (cf. René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, Paris, Éditions Traditionnelles, 1952), lui inculqua le goût des sciences occultes et des savoirs cachés, lui ouvrant grand les portes de son armoire, et même, si l’on en croit certains Propos de table, il est vrai assez laconiques sur ce point, de son confessionnal, où il semble que Fripon ait remplacé le curé en de certaines occasions afin d’entendre les confidences des fidèles et d’approfondir ainsi sa connaissance de l’âme humaine.

En 1776, l’initiation du jeune Paragrippa prit brutalement fin, le curé ayant été invité à se retirer dans un monastère champenois à la suite d’une affaire impliquant, outre lui-même et Fripon, deux jeunes filles de Véretz qu’il s’agissait de faire servir comme officiantes d’une forme de rituel se rapportant à une tradition ancienne, expliquerait bien plus tard Paragrippa (cf. Propos de table…, op. cit.) et dont les habitants de Véretz, n’en comprenant évidemment pas les enjeux, se scandalisèrent.

La carrière du disciple, en butte à l’hostilité de ses concitoyens et en particulier à celle du père de l’une des deux jeunes filles, un vigneron de Montlouis qui vint armé d’une fourche l’attendre jusque devant le seuil de la maison familiale, aurait pu se terminer elle aussi à cette date, mais grâce à un habile subterfuge ses parents parvinrent à la faire sortir à la nuit tombée tandis que l’assaillant ronflait profondément après avoir trinqué à plusieurs reprises avec Fripon père qui lui avait fait goûter des productions de son alambic. Le fils se retira dans la forêt de Larçay ainsi probablement qu’en lui-même à la recherche de cette paix intérieure qui, selon toutes les traditions, ne s’acquiert que par la méditation (cf. Ananda K. Coomaraswamy, Hindouisme et Bouddhisme, Paris, Gallimard, 1949).

De paix en revanche il n’était pas question à Véretz qui pendant ce temps s’enfonçait dans la discorde, comme si les influences qui s’étaient déchainées contre le jeune Fripon et son mentor, échappant au contrôle de leurs instigateurs, s’attaquaient à tout ce qui passait à leur portée (de la même façon qu’agissent les résidus psychiques que depuis Eliphas Levi les occultistes appellent des « égrégores » ‒ cf. René Guénon, L’Erreur spirite, Paris, éd. Marcel Rivière, 1923). Un nouveau scandale, dont l’origine n’a jamais été éclaircie, vint en effet frapper la petite commune ligérienne, sous la forme de lettres anonymes envoyées à divers habitants, les informant des écarts de conduite de leurs femmes et de celles de leurs voisins et même, ce qui stupéfia bien davantage, de la nature de leurs désirs les plus intimes, et donc les moins avouables, de ceux que l’on ne dévoile que dans le secret du confessionnal, et encore le fait-on à mi-voix, en faisant le pari parfois gagnant que les problèmes d’audition du fonctionnaire de l’Eglise chargé de mesurer la gravité de l’aveu l’empêcheront d’en saisir tous les développements.

Le nouveau curé de Véretz, sur qui se portèrent tout naturellement les premiers soupçons, convainquit facilement ses ouailles de son innocence en faisant la démonstration que le nombre des confessions qu’il avait entendues depuis son arrivée ne permettait pas de fournir la matière suffisante aux plusieurs dizaines de lettres qui inondaient à ce moment le village. Il s’informa de la possibilité que l’auteur en put être son prédécesseur, mais les autorités diocésaines assurèrent que celui-ci, qui avait « volontairement » (les guillemets étaient du secrétaire de l’évêque) fait le choix de la retraite la plus austère dans une cellule de son monastère où il ne se nourrissait que de pain et d’eau, ne pouvait plus d’aucune manière communiquer avec l’extérieur. Le mystère demeura donc, grevant l’atmosphère de la bourgade d’une lourde chape de suspicion qui pesa durablement sur les relations de voisinage et ternit sur plusieurs générations la réputation d’un nombre conséquent de Véretzoises qui ne pouvaient que rougir en silence des humiliants quolibets dont on les gratifiait quand elles passaient dans la rue principale.

Les parents de Fripon, estimant peu propice au recouvrement de sa santé morale par leur enfant l’atmosphère délétère qui régnait alors à Véretz à la suite de cette affaire, décidèrent de l’envoyer en apprentissage à Tours.

Fin de la première époque de la vie de Paragrippa (lire la deuxième époque ici)

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