(Lire ici la première époque et ici la seconde époque de la vie de Paragrippa)
A la différences d’initiés plus connus tels que Louis-Claude de Saint-Martin (que Paragrippa connut peut-être, puisqu’il était natif d’Amboise) ou Joseph de Maistre qui, conformément aux enseignements traditionnels, ne pouvaient envisager tout changement politique que comme une dégénérescence puisqu’il éloigne davantage du principe de toute autorité, et donc tire vers le bas (Cf. René Guénon, La Crise du monde moderne, Paris, éd. Brossa, 1927 et, surtout, l’indispensable Règne de la quantité et les signes des temps, Paris, éd. Gallimard, 1946), Paragrippa vit dans la Révolution française moins une catastrophe qu’une aubaine. Mais il ne faut pas juger trop vite des choses par leur apparence extérieure : Dante, on le sait, a écrit un traité défendant l’autonomie de l’Empereur vis-à-vis du Pape afin de faire en réalité l’apologie de la thèse inverse (lumineusement mise au jour par René Guénon dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel, op. cit.) et peut-être de la même manière faut-il considérer que l’enthousiasme que témoigna Paragrippa pour la cause révolutionnaire était la preuve qu’il la considérait comme une catastrophe.
A partir de 1788, celui-ci commence à signer ses placards et pamphlets du pseudonyme, transparent pour ceux qui ont suivi sa carrière jusque-là, de « Patriote lumineux ». Il concentre ses attaques contre les édiles, le maire de Tours en particulier, à l’exception d’un libelle particulièrement violent contre le tenancier du Cheval blanc, d’où l’on peut déduire qu’il n’y était plus le bienvenu, peut-être à la suite de la rixe qui l’y opposa à Norbert, le domestique du drapier Girard, ainsi qu’à ce dernier, altercation restée fameuse parce que l’Adepte prédit au drapier qu’il ne passerait pas l’année, prophétie qui devait se révéler cruellement exacte, à quelques mois près.
Girard fut en effet massacré par la foule le 23 juillet 1789 lors d’une émeute populaire consécutive à la « Grande peur » de cet été-là, qui à Tours tourna à la psychose collective, des placets anonymes placardés sur les murs de maisons de plusieurs quartiers annonçant qu’une troupe de cinq mille brigands venait piller la ville. Le marchand-drapier Girard était nommément désigné comme étant leur complice intra-muros.
Paragrippa profita de la relative confusion qui régnait à cette époque sur les questions de propriété pour financer ses expériences occultes par la vente d’immeubles ne lui appartenant pas. C’est ainsi que, grâce à la complicité d’un notaire tourangeau, Me Radault, il vendit trois demeures à un officier autrichien, Maximilien Woorm de Bomicourt, dont une, sise rue de la Grosse Tour, était censée renfermer le trésor des Templiers.
Il faut au nombre des activités exotériques qui furent les siennes à ce moment de son existence ajouter les fonctions de trésorier qu’exerça Paragrippa au sein d’une faction révolutionnaire radicale composée d’artisans, de manœuvres et d’autres individus aux activités moins aisément résumables par un seul mot. Cet équivalent provincial des Sans-culottes parisiens qui commençaient alors à peine à s’organiser, entendait protester contre le prix des denrées, en particulier du pain (et singulièrement celui que vendait le boulanger Lasneau) ainsi que mettre en place l’égalité réelle en redistribuant la propriété foncière par le moyen du tirage au sort. Le groupe, formé pour l’essentiel d’intimes du Mage, et dont plusieurs avaient même été ses compagnons de baquet, se réunissait chaque soir dans une taverne différente, buvant à la santé de la République et, comme on disait à l’époque, « aux frais du Roi », faisant de la propagande en faveur de la Constituante jusque fort avant dans la nuit et ne se dispersant qu’au petit matin non sans être auparavant allé uriner rituellement sur la devanture de la boulangerie Lasneau.
La section tourangelle, bien qu’elle commençât à faire parler d’elle, dans des termes il faut bien le dire peu amènes, mais justement pour cette raison attirant sans cesse en ses rangs de nouveaux membres, ne survécut pas à la tentative pourtant généreuse de son trésorier de mettre à son service ses compétences alchimiques, en multipliant le contenu de la caisse de l’organisation. Mais l’expérience n’eut pas le résultat escompté, et Paragrippa, tenu responsable de la disparition de l’ensemble des cotisations de ses membres et des ponctions qu’avaient prélevées ceux-ci auprès des Tourangeaux rencontrés au sortir des tavernes, dut se cacher quelque temps chez Me Radault.
Un malheur n’arrivant jamais seul, en particulier pour les Initiés, c’est précisément le moment que choisit le capitaine Bomicourt pour venir s’installer à Tours. Découvrant les logements qu’il pensait avoir acquis occupés par des résidents munis de tous leurs titres de propriété, il dut être hébergé à l’Hôtel de ville, puis dans le presbytère jouxtant la cathédrale Saint-Julien que Balzac devait rendre célèbre en en faisant un sujet de discorde dans Le Curé de Tours.
Paragrippa parvint à échapper aux recherches de l’officier tout au long de l’année 1790, au prix d’une succession de déménagements nocturnes qu’on imagine avoir été d’autant plus éprouvante que Bomicourt bénéficiait de l’aide de Lasneau, qui lui communiquait dès qu’il en avait les informations que lui fournissait la clientèle de sa boulangerie. Aussi, lorsqu’en 1791 l’Autrichien parvint à se faire élire maire de la ville, Paragrippa se déclara vaincu, et s’exila.
Reproduction d’un pamphlet du « patriote lumineux », dont la véritable identité est ici pour la première fois révélée (extrait de Béatrice Baumier, Tours entre Lumières et révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792), PUR, 2007)
Fin de la troisième époque de la vie de Paragrippa. Lire la quatrième et dernière époque de sa vie ici.