Il était une fois trois jeunes garçons frais émoulus de l’école de commerce qui s’étaient juré de gravir ensemble les marches du succès.
– Quand nous réussirons, nous le fêterons tous les trois ! s’enthousiasma Edouard.
– Et si nous échouons, nous nous remotiverons mutuellement, enchaina Séverin.
– L’échec is not an option, rétorqua Jean-Alexandre.
– Tomber dix fois se relever onze, renchérit Edouard.
– Un pour tous… entama Séverin.
– Hourra ! compléta Jean-Alexandre.
A l’issue du makestorming (sorte de brainstorming en plus bref et plus formel) qu’ils tinrent tous les trois, ils décidèrent de fonder une start-up. Ils maitrisaient en effet jusqu’au bout de leurs ongles délicats la grammaire et le lexique de ces entreprises à l’organisation flexible et à la croissance ultra-rapide : il faudrait lancer très vite un MVP soutenu par une stratégie agressive d’inbound marketing (éventuellement boostée par du groth hacking) afin d’atteindre rapidement un rate élevé de customer validation. Une fois ce niveau atteint, il n’y avait plus qu’à passer en mode company building et trouver un bridge financing (par le biais d’un CVC ?) permettant de gonfler le PMV pour finalement accéder au level unicorn.
– D’ici un an ou deux, estima Edouard.
– En attendant il faudra payer nos salariés en equity, précisa Séverin.
– Nos quoi ? demanda Jean-Alexandre.
– Nos co-workers subalternes, expliqua Edouard.
Puisque le business plan était achevé, ne restait plus qu’à trouver un nom pour la start-up et un concept à développer. Un nouveau makestorming rapide et efficace aboutit à la décision de chercher d’abord un nom.
– Your name is what you are, pontifia Edouard.
– Your project is what you are, rectifia Séverin.
– The project is the product, avança Jean-Alexandre.
Ils se regardèrent les uns les autres, les yeux brillant d’admiration : en quelques secondes, ils venaient d’ajouter trois nouveaux aphorismes au grand Livre de la Sagesse capitaliste. Sans même avoir besoin de se concerter, chacun sortit son smartphone pour sauvegarder dans le booknotes le souvenir de ce moment historique.
En dépit de la fulgurance intellectuelle dont ils venaient de donner la preuve, trouver un nom pour leur future company s’avéra plus difficile que prévu. Ils y consacrèrent un très long stand-up meeting, se résolurent à passer du mode makestorming au mode brainstorming, et pourtant ils ne parvenaient pas à trouver un brand name qui à la fois claque, marque, et n’ait pas été déjà déposé par leurs devanciers : La French Touch, la French Tech, Free, The Family… tous les noms sympas étaient déjà pris.
– Et si on commençait d’abord par trouver des noms pour nous ? suggéra Edouard.
– Bonne idée, approuva Séverin.
– Il faudrait quelque chose qui soit court et qui fasse américain, lança Jean-Alexandre.
Ils repassèrent en mode makestorming.
– Les gars, est-ce que vous pensez à la même chose que moi ? questionna Edouard quelques heures plus tard.
– Je crois bien que oui, répondit Séverin tout frétillant.
– Yes we can, renchérit Jean-Alexandre.
– Moi je m’appellerai Ed, reprit Edouard.
– Et moi Sev, ajouta Séverin.
– Et moi Jean, compléta Jean-Alexandre.
– Ça ne fait pas très américain, remarqua Ed.
– Ça fait même très français, assura Sev.
– Et si je m’appelais Jal ? soumit Jean-alexandre.
– On dirait un nom d’Arabe, analysa Ed.
– No way, confirma Sev en secouant la tête.
– Et Jalex ? proposa Jean-Alexandre.
– Oui, Jalex c’est pas mal, reconnut Ed.
– J’aime bien, opina Sev.
– Cool ! va pour Jalex, conclut Jalex.
En fins psychologues qu’ils étaient, ils estimèrent que c’était une bonne chose pour le mental que de rester sur un success. Ils mirent donc un terme à leur stand-up meeting afin de passer en mode détente et pouvoir enfin s’asseoir.
à suivre ici